Les deux premières lignes maudites

Comme tous les jours depuis quelques temps, à la même heure exactement (ou presque) la porte du Planet allait s’ouvrir afin de laisser entrer un personnage assez insolite en ces lieux. Non pas que l’individu soit insolite en lui-même, mais c’était dans sa manière de bouger, de s’habiller, d’être tout simplement.

A l’heure habituelle, en fait à la sortie des cours, Yando se présenta devant le bar. Il savait bien qu’il allait en faire sourire plus d’un à rentrer dans cet accoutrement… et il s’en fichait. Lui il n’était pas né sur la planète gelée, mais sur une planète très lointaine où le temps n’était pas constamment au blizzard (et plutôt même à la tempête de sable). Alors s’il devait porter un manteau polaire, il porterait un manteau polaire. Quoi qu’en disent les autochtones. Et puis, de toute manière, il n’était pas moche ce manteau. Il était même assez classe avec cette fourrure blanche et noire dessinant la capuche et les limites de la fermeture. De toute façon ce qui comptait c’était qu’il soit chaud.
Le problème étant, qu’une fois à l’intérieur (là où la température était bien plus raisonnable), il faisait bien trop chaud à porter une telle tenue. C’était ce qui faisait sourire les gens, de voir un garçon se balader par 25 degrés avec une veste polaire. Cependant il avait décidé de ne pas se laisser atteindre.

Une fois rentrer, après avoir enlevé sa monumentale capuche déposant par la même un peu de neige sur le pas de la porte, il se mit en quête d’une table. Si possible une pas trop loin afin d’éviter de perdre deux litres de sueurs avant de l’atteindre. Mais, à cette heure-ci, il y avait toujours de la place.
Il déposa balança donc son sac sur la banquette d’une qui lui convenait. Sac qui fut rejoint très vite par un chaud mais encombrant manteau.

La moindre des choses quand quelqu’un est assez généreux (ou idiot) pour vous offrir une bourse d’étude, réalisant par la même tous vos rêves d’ailleurs, c’est d’étudier. Alors, depuis qu’il était arrivé sur Akillian, lui qui n’avait jamais été un élève très attentionné étudiait du mieux qu’il pouvait. Dans les limites du supportable… quand on n’a pas l’habitude il faut y aller doucement pour commencer.

Cela faisait déjà au moins une heure qu'il était installé quand, soudain, une serveuse fracassa un verre sur le sol. Yando ne leva même pas la tête. Il avait tellement de mal à comprendre son bouquin qu’il ne pouvait se permettre d’en détacher les yeux pour voir le spectacle. Il eut vaguement conscience qu’elle se partit en courant à la recherche de quelque chose pour nettoyer tandis qu’il fronçait les sourcils sur un chapitre fort compliqué..

Mais bien qu’il observait les différentes équations mathématiques, il n’arrivait pas à en comprendre plus que les deux premières lignes qu’il avait déjà relues plus d’une dizaine de fois. Ses pensées lui échappaient alors et se tournait vers le Galactik Football. La vision des tacles, des dribbles, des frappes, des arrêts, des buts semblaient détruire chaque parcelle de sa concentration. Puis réalisant qu’il partait dans des rêveries bien futiles en cet instant, il replongeait d’un air boudeur sur les équations.

Il relut à nouveau les deux premières lignes alors qu’il sentit que l’agitation continuait autour de lui. Il leva les yeux pour observer un peu la scène

Yando reprit soudain conscience de n’avoir toujours pas lu plus des deux premières lignes de son paragraphe et se remit à sa lecture d’un air paniqué. Mais malgré tous ses efforts, lorsque d’exception les ballons ne s’imposaient pas à son esprit, d’autres images toutes aussi perturbantes ne cessaient de lui revenir en mémoire. Des images de sa vie passée qu’il avait décidemment bien du mal à chasser

L’Ak’Nat (et oui, on dit un Ak’Nat et une Ak’Nate) s’énervait peu à peu et constatait qu’il n’arrivait même plus à finir les deux premières lignes. Il referma brutalement son livre pour s’accorder une pause.

Huit heures de cours à la fac' de droit... Enfin quatre heures à écouter la les paroles du professeur sans vraiment les comprendre et les quatre dernières heures à penser à quelque chose qu'il comprenait vraiment et qu'il aimait le plus: Le galactik football. Kaz' se remémorait, les plus beaux matches, les plus belles figures et les plus beaux buts qu'il avait vu jusque là. Du coup, le temps passa à une vitesse ahurissante et ce fut bientôt l'heure de la sortie. Kazuma passa un certain temps à ranger ses affaires qui étaient étonnamment éparpillées un peu partout puis il se dirigea vers la sortie les mains dans les poches. Il n’avait pas d’amis dans cette fac’ parce qu’il trouvait les autres trop sages et ce genre de personnes ne lui plaisaient pas particulièrement. En plus, ils ne connaissaient rien au Galactik Football… Oh si ! Ils regardaient des matches et ils admiraient les beaux gestes techniques mais ça s’arrêtait là ; il ne pouvait avoir de véritables conversations sur ce sujet avec les autres alors ils préféraient ne pas leur parler du tout parce qu’il n’y avait personne d’intéressant. Mais il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même… Choisir le droit comme études s’était révélée la chose la plus idiote qu’il n’ait jamais faite. Franchement, il aurait pu choisir quelque chose de moins ennuyeux ; tout bien réfléchi, il aurait mieux fait de devenir musicien comme ça il ne dormirait pas en cours pour la simple raison qu’il n’y en aurait pas… du moins dans sa vision des choses. Bref Il allait passer chez lui pour déposer ses affaires et prendre des nouvelles de la maison. Le chemin se fit sans encombre. Il poussa le portail, traversa le petit jardin et entra chez lui. Il fut bientôt accueilli par son frère et sa sœur qui, apparemment l'attendaient. Ils voulaient encore qu'ils fassent une partie de foot mais Kaz' refusa; vu l'heure qu'il faisait ce n'était pas prudent et en plus il faisait froid dehors et ce ne serait pas bon pour les petits. Néanmoins, il leur promit un match le lendemain et il put enfin avoir la paix. Il salua son père et sa belle mère puis monta dans sa chambre. Il put enfin déposer ses affaires et penser à sa prochaine destination… Eh oui ! Il ne voulait pas rester chez lui mais pensait faire un petit tour, le temps de décompresser parce que faire quatre heures de droit non-stop ce n’est pas très reposant. Bref, il se leva reprit son sac qui ne contenait plus qu’un livre et une balle de foot puis sortit de la maison au grand désespoir de son frère et de sa sœur. Il ne savait pas où aller mais se laisserait guider par le vent… Il cherchait un coin tranquille où il pourrait jeter un coup d’œil au livre qu’il avait avec lui. Puis il eut une soudaine envie et sortit sa balle et commença à faire des jongles. Il n’avait parcouru une centaine de mètres environ lorsqu’il se retrouva en face du bar Planet. Ce n’était pas l’endroit rêvé en matière de silence mais il y avait quand même de la chaleur. Il pressa donc le pas tout en continuant de jongler et se retrouva quelques instants plus tard devant la porte du bar. Il la poussa et c'était comme si on venait de mettre le volume à fond. Apparemment il y avait un match et les supporters ne cessaient de crier des encouragements que les joueurs n'entendaient pas. Il appréciait quand même la chaleur que dégageait cet endroit. C’était nettement plus agréable que de rester dehors avec cette température glaciale.

Il franchit donc le seuil et entra dans le nouveau qui s'était ouvert à lui. Son entrée se fit discrètement, il ne se fit pas remarquer et n'attira aucun regard, en tout cas c'était mieux ainsi car il ne voulait pas se faire remarquer. Il s'avança à la recherche d'une place libre; il scruta donc la salle et justement il en vit une. Bizarrement, le bar était bondé sûrement à cause du match. Ca lui paraissait étrange car aux environs de cette heure, il était pratiquement vide. Il allait donc s’assoir mais vit qu’il y avait déjà une personne à cette table. Il allait donc se montrer poli et demander la permission de s’assoir, ce qu’il fit sans perdre une seule seconde supplémentaire. Mais il ne savait pas s'il devait déranger le jeune homme qui avait l'air complètement plongé dans son livre. Attendre qu'il finisse aurait été vraiment idiot mais Kaz' décida de le gêner pour pouvoir bosser lui aussi même si ça ne lui disait pas grand-chose. Il s'adressa donc au jeune homme en disant :

" Excusez moi de vous déranger mais pourrais-je m'asseoir là ? "

Yando n’aurait pas cru cela possible si on le lui avait dit (ou prévu) avant cet instant. Il en était arrivé à maudire un match de Galactik Football.

Car il fallait qu’il y ait justement un match de diffusé au Planet Akillian, le jour où il rencontrait des difficultés sur un point de mathématiques (alors qu’il n’en avait que très très rarement). Comme si ses devoirs n’étaient pas assez compliqués à comprendre par eux-mêmes. Il fallait en plus que l’effervescence générale qui allait de pair avec le déroulement d’une partie l’empêche de se concentrer. Déjà qu’il avait des difficultés de concentration en temps normal. Comment chasser les ballons de sa tête quand celui qui circulait sur l’écran géant faisait vibrer la foule ???
Si bien qu’il n’avait toujours pas dépassé les deux premières lignes de son fichu chapitre, alors qu’il connaissait le score du match (et même bien plus en ce qui concernait cette rencontre).

Il avait beau essayé de se couper du monde, rien n’y faisait. Sa concentration bien fébrile volait régulièrement en éclats suite à un cri enthousiasmé (qu’il soit de joie ou de colère) ou à tout un tas d’autres choses.
Pourtant il se bouchait les oreilles avec la paume de ses mains, atténuant les sons mais ne les faisant pas disparaître pour de bon. Il lui aurait fallut des œillères et des boules quies… et encore cela n’aurait sûrement pas suffit. S’il avait sut qu’il y avait un match il ne serait sans doute pas venu ici ce soir. Il aurait travaillé chez lui, dans son petit studio d’étudiant.

Pour couronner le tout voilà qu’un adolescent d’à peu près son âge approcha. Mais malgré toute la politesse dont il fit preuve le regard qu’il eut en retour, quand Yando leva la tête de son livre pour regarder celui qui le dérangeait, était glacial. Peut être même plus que l’atmosphère à l’extérieur du bar.
Cela n’avait rien à voir avec la pauvre victime, mais à force de ne pas réussir à comprendre le paragraphe (et surtout à se concentrer dessus) l’Ak’Nat s’était légèrement exaspéré. C’était bien le moins qu’on pouvait en dire. Et ce regard était l’expression ultime de toute l’exaspération qu’il avait jusque là emmagasiné.

« Oui… oui. Vas-y… Assieds-toi. »

Il avait parlé sur un ton sec, à peine plus chaleureux que le regard qu’il avait jeté.

Même s’il ne le réalisait pas sur le coup, il ne les connaissait que trop bien ce ton et ce regard… Cet air glacé (limite méchant) était celui que son père arborait toujours en ce qui le concernait. S’il avait réalisé ce qu’il était en train de faire, si cela n’avait pas été fait sous l’impulsion d’une colère naissante jamais il ne serait autorisé à le faire. Cela aurait signifié qu’il était comme lui d’une certaine façon… Tel père, tel fils… Une définition de l’enfer pour le jeune garçon. La simple idée qu’il puisse lui ressembler d’une quelconque façon que ce soit lui donnait la chair de poule.
Au moins, lui, il avait une excuse plus défendable que la haine d’un père pour son fils. Même si hélas, il penserait au fond de lui-même qu’il n’était pas excusable. Pas après ça. En tout cas, lui ne se le pardonnerait pas facilement. Son histoire personnelle ne le lui permettrait sans doute pas. Alors que cela aurait presque été banal pour le plus grand nombre.

Et, aussitôt, il s’était replongé sur cette fichue page, qu’il n’arrivait désespérément pas à tourner. Sans même s’intéresser un tant soit peu à l’autre garçon, exactement comme son père l’aurait fait avec lui, comme il l’avait fait tant de fois, trop de fois…